Il faut que la France prenne une place très forte en Europe en matière d’innovation agricole
Le Salon de l’Agriculture fait son grand retour porte de Versailles. La Ferme Digitale y est présente avec 50 de ses membres. Florian Breton, fondateur de MiiMOSA et co-fondateur de l’association qui promeut l’innovation et le numérique au service de l’agriculture, nous explique pourquoi les startups du secteur vont jouer un rôle clé dans les 5 ans à venir, du point de vue économique mais aussi géopolitique.
« Promouvoir l’innovation et le numérique pour une agriculture performante, durable et citoyenne » . Voilà l’ambition que portaient les entreprises (MiiMosa, Agriconomie, Ekylibre, Monpotager.com et Weenat) et leurs fondateurs, lorsqu’ils ont choisi de créer la Ferme Digitale, en 2016. Plus d’un quinquennat plus tard, celle-ci a bien évolué. Tout comme l’écosystème AgriTech français. Rencontre avec Florian Breton.
La Ferme Digitale a presque 6 ans aujourd’hui. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru ?
C’est une formidable histoire. On va fêter nos 6 ans au salon de l’Agriculture où on a d’ailleurs officialisé le lancement. On sentait qu’il y allait inévitablement avoir, dans les années à venir, une véritable dynamique autour de l’innovation en agriculture. On était tous dans de vraies innovations mondiales mais encore à des étapes early stage. Il fallait qu’on se regroupe pour porter une vision plus grande de l’agriculture, en créant un véritable écosystème qui permette d’évangéliser l’intérêt et l’importance de l’innovation en agriculture sur les sujets de souveraineté, de data, de financement, etc…
La Ferme Digitale s’est considérablement développée, nous ne sommes plus seulement les 5 membres du départ. Nous comptons désormais 80 membres, ce qui correspond à 2000 collaborateurs et collaboratrices, et de nombreux partenaires. On projette d’avoir 100 membres à la fin de l’année avec 150 nouvelles fiches de poste déjà ouvertes.
Il y a une dynamique qui s’est vraiment accélérée au cours des 12 derniers mois. On le voit avec l’augmentation du nombre de candidatures qu’on reçoit et la grande diversité des innovations qui émergent. Nous observons énormément d’entreprises qui sont engagées sur la lutte contre le dérèglement et le réchauffement climatique ou l’adaptation des cultures. Les sujets de biodiversité et de carbone sont des enjeux du 21ème siècle.
« On est sorti des premières générations d’AgriTech qui étaient très orientées autour des agriculteurs, des services, de la simplification du métier. On est passé à des enjeux qui dépassent l’agriculteur dans son quotidien avec des solutions tournées vers la préservation des ressources naturelles, la biodiversité, la régénération des sols, etc ».
Les projets foisonnent. L’accompagnement se développe-t-il aussi pour le soutenir ?
On observe une très belle croissance de l’écosystème. Il y a une vraie dynamique. On dénombre plusieurs incubateurs privés comme Technofounders, FuturAgro, le réseau des Villages by CA, ShakeUpFactory. Beaucoup de structures ont également été créées dans les écoles, au sein d’AgroParisTech. On peut aussi citer l’AgriLab, sans oublier Hectar. Ce sont des bases plus que solides pour accompagner l’accélération de la phase early stage à la série A. Il y a tout un écosystème de financeurs qui va avec, à l’instar de Bpifrance.
Vous parlez justement de l’enjeu du financement. Les investisseurs sont plus présents dans le secteur qu’il y a 10 ans. Pourquoi ce changement ?
Il y a beaucoup d’entreprises qui ont mis la lumière sur nos innovations comme InnovaFeed ou Ÿnsect qui ont, effectivement, réussi de très belles levées de fonds. Il n’y a pas un fonds avec lequel j’échange, qui soit généraliste ou à impact, qui ne parle pas de leur ambition d’investissement dans l’agriculture. La notion d’impact les intéressent mais ils jugent surtout crédible les enjeux autour de l’agroalimentaire.
Il a fallu faire beaucoup de pédagogie car la philosophie des fonds est assez court-moyen termiste, avec une vision à 5-7 ans. Or, en agriculture, il faut un temps de développement plus long. Ce qui n’enlève en rien les perspectives de valorisation comme le montre Ÿnsect. Les opportunités de sorties sont toutes aussi importantes mais plus longues car on joue avec le vivant. Les rythmes et les risques ne sont pas les mêmes.
Quand on est une entreprise dans le vin ou le maraîchage, il y a une saison par an de culture, pas dix. L’agriculture doit faire face au cycle naturel, aux aléas climatiques, au cycle géopolitique. La Russie s’est développée significativement dans le blé depuis 2014 et a pris des positions dominantes dans certains pays. C’est devenu un enjeu de déstabilisation qui peut retomber sur nos entreprises car cela crée des tensions sur les prix et la demande. L’alimentation des gens est un sujet extrêmement important.
« Les agriculteurs du monde entier sont nos meilleurs casques bleus »
Certaines AgriTech ont réussi de très belles levées de fonds mais les investissements ruissellent-ils aussi sur de plus petites sociétés ?
Il y a toujours des besoins de financement très early stage au moment de la preuve de concept. Il peut être encore compliqué de lever des fonds à ce stade de développement. Mais c’est plutôt le rôle de business angels de financer ces phases précises. Il y a peut-être encore de l’évangélisation à faire de ce côté-là. C’est toujours compliqué de lever des fonds mais une fois qu’on a commencé à faire un peu de croissance, entre l’early stage et la série A/B, je trouve qu’il n’y a plus de problème à lever des fonds en France.
Néanmoins, des grandes problématiques de financement sur la partie internationalisation de nos solutions demeurent. Nous n’avons pas encore de licorne, à part Ÿnsect, pas beaucoup d’entreprises très valorisées qui s’exportent. Les efforts réalisés auprès des investisseurs pour financer les séries A et B doivent être étendus en Europe pour faire aussi de la France le berceau européen de l’innovation. C’était la mission première de la Ferme Digitale lors de son lancement.
Nous (la France, ndlr) sommes la première ferme européenne, nous avons tout pour réussir. Mais il nous faut des financements de growth, de capital développement. C’est le problème de l’industrialisation et d’une mise à l’échelle mondiale ou européenne a minima.
Comparée aux autres puissances agricoles, où se situe la France sur ce marché ?
Si on regarde le verre à moitié vide, il faut savoir qu’on part tout de même de très loin. Même si nous avons accéléré, nous sommes encore très loin en Europe des Etats-Unis et de l’Asie en part de marché.
À l’échelle mondiale, l’AgriTech en France pèse pour 2% des levées de fonds, l’Europe pour 10%, les Etats-Unis pour 50% et l’Asie – principalement la Chine – pour 25 ou 30%. On a ensuite Israël. L’Asie est passée devant les Etats-Unis, pour la première fois, en matière d’investissements réalisés en 2021, ce qui prouve clairement l’envie de ces pays de prendre une place très forte dans ce domaine.
Le numérique n’est pas nouveau dans le monde agricole. Mais est-il accepté par tous les agriculteurs et toutes les agricultrices ?
Il y a un renouvellement très fort de la consommation des usages en agriculture. Aujourd’hui, 86% des agriculteurs sont connectés à Internet au titre de leur activité professionnelle, que ce soit pour demander des subventions, remplir des déclarations, communiquer, etc. Il y a une consommation folle du numérique et des nouvelles technologies. Pour autant, il y a encore beaucoup à faire. Mais c’est positif : cela signifie que la fracture numérique est quasiment résorbée.
On observe une certaine défiance du numérique de la part de certains agriculteurs implantés depuis longtemps. Mais, je le rappelle, un agriculteur sur deux partira à la retraite d’ici 5 ans. Cette pyramide des âges est assez défavorable en France ou en Europe. D’un point de vue citoyen, c’est inquiétant car il y a une urgence sociétale à renouveler les générations d’agriculteurs. On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire sans renouveler notre vivier d’agriculteurs.
Pourtant, elle constitue une énorme opportunité de marché pour les AgriTech. Le renouvellement des générations est souvent fait, dans plus de la moitié des cas, par des personnes non issues du monde agricole qui ont une autre vision de ce que doit être l’agriculture. Ils cherchent à s’affranchir des modèles existants, ils ne veulent plus travailler avec les coopératives, les négoces, les industriels, les banquiers, les assureurs, etc. Les moins de 45 ans veulent s’affranchir des domaines existants.
Comment expliquez-vous cette appétence de reconversion et de création dans l’agriculture ?
Chez MiiMosa, on dit souvent qu’on accompagne la triple transition sociale, économique et écologique. La transition numérique se fait naturellement. Du haut de nos 5 000 projets, on constate une féminisation de l’agriculture. Dans les années 70, 8% des chefs d’entreprise agricoles étaient des femmes. Aujourd’hui, nous en comptabilisons entre 25 et 30%.
Autre constat, un agriculteur sur deux qui s’installe est hors cadre familial. Traditionnellement, le père transmettait à son fils l’exploitation – car c’était un secteur essentiellement masculin – et on était agriculteur toute sa vie. Dans le monde du travail, on observe que les salariés ne travaillent plus dans une seule entreprise toute leur vie. Le secteur agricole devient aussi un passage dans la vie de certaines personnes, comme le traduisent les reconversions. L’agriculture va se transformer dans les 10 prochaines années. Petit à petit, le métier d’agriculteur ne sera peut-être plus une vocation de vie. C’est bien car cela va permettre d’accélérer le renouvellement des générations précédentes.
Ce renouvellement des générations s’accompagnerait donc d’une nouvelle manière de penser l’agriculture ?
À cette transition sociale s’ajoute une transition économique. C’est un point les plus importants selon moi. Les agriculteurs d’il y a 10-15 ans se limitaient à la production de matières premières alimentaires. Certains agriculteurs, en plus d’être des chefs d’entreprise multi-casquettes qui gèrent la logistique, la comptabilité, multiplient les modèles économiques. Ils font du stockage de carbone, de la production de biodiversité en réimplantant des arbres, ils produisent de l’énergie renouvelable avec le solaire et le biogaz, ils font de la transformation et de la vente directe, ils s’associent pour créer des magasins de producteurs.
Il faut partager cette image positive autour du monde agricole et de la diversité de ses business models car c’est ce qui va pousser les jeunes générations à s’engager. Aujourd’hui il y a beaucoup d’agriculteurs qui tirent des revenus très intéressants car ils ont un modèle économique diversifié.
Vous avez récemment parlé des agriculteurs comme des « soldats du climat » . Quelles solutions développent ces entreprises engagées ?
Nous avons créé un collège impact au sein de la Ferme Digitale avec pour ambition d’en faire l’association qui compte le plus de sociétés BCorp parmi ses membres. Nous voulons en faire des membres hyper engagés dans des démarches de progrès notamment concernant la gouvernance.
Il y a plusieurs typologies de solutions qui émergent, à la fois sur des enjeux de santé publique et de biodiversité mais aussi pour le carbone. Il ne faut pas se concentrer sur l’un ou l’autre ou négliger l’aspect alimentaire, ce serait suicidaire.
Concernant le réchauffement climatique et le dérèglement climatique, on a des solutions avec des capteurs utilisés par les agriculteurs pour aller vers une agriculture de précision qui est intensive, non pas en termes de produits chimiques mais de connaissances. Ces stations météo envoient des signaux, via les satellites, directement sur les ordinateurs des agriculteurs pour les aider à anticiper les aléas climatiques. Cela leur permet de traiter chimiquement, de manière exceptionnelle et chirurgicale quand il y a une maladie ou un besoin particulier. L’objectif est d’arrêter la folie des dernières années visant à répandre des traitements sur des surfaces qui n’en avaient même pas besoin.
D’autres sociétés sont capables, comme Ombrea, de créer un microclimat sous ses ombrières pour protéger les cultures et de permettre à l’agriculteur de compléter ses revenus par l’énergie solaire.
Plusieurs startups françaises ont pris le virage de la transition agricole via le carbone. Aujourd’hui le prix du carbone est bas. Ce marché peut-il émerger ?
La prochaine révolution est celle du carbone. Le marché n’est pas encore structuré ni réglementé. Le prix du carbone va exploser dans les prochaines années. Le crédit carbone va devenir un enjeu de financement de la transition agricole. Vu que la réglementation va s’imposer aux entreprises, aux financiers, aux asset managers…il va falloir très rapidement compenser ses émissions par du crédit carbone. Or, l’agriculture est le plus gros puit de carbone après l’océan. On va faire face à une grande révolution.
Aujourd’hui le prix du carbone est très bas, autour de 30 euros la tonne en France. C’est un marché mondialisé donc quand le prix est à 8 euros à l’autre bout du monde, certaines entreprises préfèrent l’acheter ailleurs. Il faudra que nos politiques travaillent sur cet enjeu dans les années à venir pour que le carbone français soit consommé aussi.
Quel sera selon vous le portrait de l’écosystème AgriTech dans 5 ans ?
Je vois un système de l’AgriTech à la pointe en Europe, avec des licornes et des investissements importants. Être une licorne n’est pas une fin en soi mais ce sera le symbole de la réussite de notre AgriTech.
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