Frenchweb : Vous avez décrit la nouvelle ère du «Facebook centric» pour les entreprises. Comment ce recentrage autour de Facebook va-t-il les affecter en termes d’organisation interne ?
Fabrice Epelboin : Nous sommes en train d’assister à la troisième vague, en terme de métiers issus du web, à pénétrer en masse le monde de l’entreprise : celle du community management. Cette vague est certainement bien plus vaste que les précédentes, et il convient d’en saisir la dimension au plus vite. Comme à chaque fois, elle se cristallise autour d’un métier aux contours flous réunissant des compétences très variés et surtout des niveaux de compétences très divers, dont on peine à l’heure actuelle à distinguer les nuances.
La première vague date de la fin des années 90, c’était celle de l’omnipotent «webmaster». Un terme on ne peut plus confus derrière lequel se dissimulait tout et n’importe quoi. Parmi ceux qui ont fait partie de cette première vague il y a quinze ans, on trouve aujourd’hui des individus qui sont encore contingentés à la mise à jour du site web, tout comme d’autres, qui se sont hissés entre temps à des postes on ne peut plus stratégiques au sein de leurs organisations. Cela reflète parfaitement ce qui arrivera demain à la vague en cours des «community managers».
La seconde vague a eu pour caractéristique d’avoir été massivement outsourcée, c’est celle du web «Google-centric», avec la palette de métiers qu’on lui connait aujourd’hui – SEO, SEM, etc – que la plupart des entreprises ont cru bon de confier à des prestataires externes, au risque de voir ces métiers intervenir à des étapes des différents projets impactés où ils n’étaient pas en mesure de créer pleinement la valeur qu’ils étaient en mesure de produire.
La troisième vague est celle du community management, une profession qui en est, bon an mal an, au même stade de développement que l’étaient les webmasters en 1999. Essentiellement outsourcés et positionnés dans des fonctions subordonnées à la communication et au marketing aujourd’hui, ils vont progressivement s’intégrer aux entreprises et déborder sur les fonctions commerciales – aussi bien à «la chasse» qu’à «l’élevage» -, mais également à une multitude de postes clés, comme la communication interne, les RH ou la gestion de crise.
Même si on peut s’attendre à une certaine forme d’automatisation de cette fonction – il suffit de regarder les prouesses de Watson d’IBM pour s’en convaincre – ce rôle reposera, plus encore que les précédentes vagues de nouveaux métiers issus du web et partis à l’assaut de l’entreprise – sur l’humain, car c’est avant tout ce que le public attend d’un community manager, et plus l’entreprise a de clients, plus il lui faudra de ressources en termes de community management.
L’entreprise va devoir faire face à la mise en place d’un nouveau métier, ou plus exactement à une nouvelle compétence, au cœur de son organisation. Elle devra faire le choix de son intégration dans les silos actuels qui la structurent, ou au contraire profiter de cette vague pour créer en son sein une organisation métier transversale et plus horizontale afin de s’appuyer sur celle-ci pour muter en profondeur, rendant le community management d’autant plus stratégique. Il y a là une énorme opportunité transformative pour les entreprises qui font face à l’impératif de la «transformation digitale».
Mais dans cette mutation, ou à défaut cette réorganisation interne, l’entreprise va également devoir relever quelques défis de taille : la revalorisation de cette fonction trop longtemps confiée au «stagiaire» ou au «jeune», et surtout la faible disponibilité de compétences sur le marché du travail. Paradoxalement, beaucoup d’entre elles disposent de ressources abondantes en interne – notamment chez les «jeunes» précités – qui, tout comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir – ont développé de solides compétences en community management à travers leurs activités extra professionnelles, qui ne demandent qu’à être structurées et adaptées à leur environnement professionnel.
Entre le manque de ressources disponibles sur le marché du travail et le dilemme qui consiste à arbitrer entre la formation aux métiers de l’entreprise d’un community manager et la formation au community management d’un collaborateur de l’entreprise, se dessine un défi à venir pour la fonction RH, qui pourra également y trouver une source d’attractivité pour sa «marque employeur» auprès des jeunes et une connotation positive à la mobilité interne, élément indispensable de l’incontournable «transformation digitale».